Le tourisme ou le pouvoir de l’éducation

alex nyamoya boyi
8 min readMar 9, 2020

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Qu’est ce qui m’a poussé vers l’hôtellerie ou plutôt qui est ce qui m’y a poussé?

Pas simple de répondre.

La première fois que j’ai vu des cuisiniers en toque était à une fête familiale et je devais avoir 4–5 ans, chez des cousins, je me rappelle assez bien car je suis tombée dans la piscine à cette même fête. Deux choses me sont restées, la presque noyade et le professionnalisme des cuisiniers ‘avec toque’ qui ne ressemblaient pas à ceux que je connaissais chez moi. Ils étaient comme ceux que je voyais à la télévision.

Des années plus tard, mon père étant devenu administrateur directeur général de la Banque de Crédit de Bujumbura , ce qui pour faire simple, voulait dire des dîners au moins une fois dans la semaine et pour une raison que je ne comprends pas , presque toujours les jeudis soir.

A cette époque, j’étais disons, la responsable car mes trois grandes soeurs ne vivant plus avec nous, (dont une interne en médecine — presque jamais à la maison) j’avais pour responsabilité de tenir la maison — j’accueillais le traiteur et faisais en sorte qu’il mette en place les consignes données par mes parents. Je pense que tout enfant dans une famille pas trop dysfonctionnelle, a reçu ce cadeau/fardeau donc comprend. Après quelques années à jouer la chef d’orchestre, mon père a eu une idée de me familiariser avec les études en hôtellerie. A cette époque, mon centre d’intérêt premier était le sport mais j’avais eu une réponse très tôt de la part de ma mère que je n’allais pas passer ma vie à courir derrière un ballon, une balle ou une personne. Mon second centre d’intérêt, ma soupape en quelque sorte, est l’informatique. Je ne me voyais pas étudier autre chose que computer science, de préférence dans une université américaine ou alors anglo.saxonne — j’avais compris que je devais faire évoluer mon environnement linguistique.

Le tour de force qui a été opéré par Mr Nyamoya a été durant son voyage professionnel à Genève où il en est revenu avec une brochure de l’Ecole Hôtelière de Genève (EHG — une référence mondiale) et je pense qu’il avait compris qu’il avait attisé ma curiosité quand il m’invitait à aller me renseigner sur le web à ce propos — ce que je faisais mais toujours gardant mon objectif d’aller étudier sur la côte ouest des Etats Unis.

Des mois se sont écoulés jusqu’à ce que je prenne la décision avec l’aide de ma mère et des prières très sérieuses sur ce sujet, je me suis lancée de façon aveugle dans une aventure. Trouver l’école qui me convenait, excluant d’office Paris car je ne voulais pas finir dépressive et pas trop dans le Sud car je n’avais pas pouvoir envie de côtoyer les amis du Front National — la bonne école s’est présenté à moi sous la forme d’une école lilloise (à l’extérieur de Lille plutôt que dans Lille centre ) et avec des campus à Paris et Londres. Je me disais que si l’envie me prenait de chambouler mon cursus, j’avais le choix. La cerise sur le gâteau étant que Lille était à mon époque, le point de repère de l’école internationale et que j’allais retrouver de vrais amis. Une de mes soeurs venait de s’installer à Namur, on était toutes dans le Nord.

Ma premiere journée de classe, je me rappelle très bien, car comme dans une école hôtelière, il y a la théorie et la pratique : ce premier jour, c’était la pratique. On s’est retrouvés dans une salle de restaurant, guindés d’uniformes mal coupés dont le rouge me rappelle le bordeaux de l’Ecole Internationale de Bujumbura (difficile à porter mais pas impossible) entourés d’inconnus mais me disant que j’avais vu les mêmes débuts dans des reportages d’écoles hôtelières et que ça ressemblait bien à cela : laver les verres au vinaigre, installer le ligne, préparer le bar,… Le plus hilarant fut ce moment où une formatrice donna la serpillière à un camarade marocain ; il était perdu — plus que cela, il avait feint de ne pas comprendre la consigne. Il est resté planté avec ce bout de bois dans la main et lui portant un costume et de nouvelles chaussures et il se préparait à faire quelque chose qu’il n’avait pas jamais fait de sa vie — nettoyer le sol. La formatrice n’ayant pas compris le problème, redemanda à mon collègue de nettoyer le sol “mais Madame, je n’ai jamais fait ça de ma vie” . Au fond, je comprenais ce qu’il vivait — pourquoi fais je nettoyer le sol alors que ‘je’ suis entrain de payer une somme assez considérable — à quels fins — au moins dans mon cas, je pouvais me dire que je savais balayer et rincer le sol.

Autre choc de débutante — la cuisine — est là, je me retrouvais dans le même état d’esprit que mon camarade, à part la préparation d’une bonne omelette, du porridge et de quelques mets, je n’avais jamais préparé un plat complet, de l’entrée au dessert. C’était effrayant et qui plus est que les mots techniques se mélangeaient à la simplicité de la cuisine de la maison — que je ne connaissais pas. A mon tour, agacé lorsqu’on me demande pour je ne sais pas faire ceci et cela, j’expliquais que j’avais de l’aide c’est à dire des cuisiniers pour préparer les différents plats dans la journée. Stupéfaction, incompréhension, mensonges et puis à la longue, résignation.

Premier stage ou premier job réellement payé, c’était à un domaine hôtelier à 200 m de l’océan Atlantique ou comment se faire arnaquer quand on ne sait vers qui se tourner. J’ai trimé pendant 3 mois et j’ai appris que toute notre vie, certaines personnes pourront être sous estimées , mais sur le moyen et long terme, le travail porte du fruit. C’est ce qui s’est passé. Je n’ai pas eu le temps d’apprécier l’ile de Ré et ses alentours car je passais la plupart de mes repos devant des vidéos Youtube de Joyce Meyer pour me redonner une santé émotionnelle et physique. Si je me rappelle bien, j’ai perdu 10 kgs en moins de 10 semaines.

Pourquoi une si longue réponse à une si simple question?

Durant cette période d’activité professionnelle et à l’école, je me suis rappelée des moments passés dans un hôtel, je pensais les compter sur les doigts de ma main — mais j’avais tort. En premier lieu, j’ai passé de nombreuses années à nager au Novotel de Bujumbura, des matinées à nager et à courir dans les lieux communs de ce que je voyais comme un immense hôtel avec mes yeux d’enfant. Je me rappelle également de moments où on avait droit à un carré à la crème ou à une tarte à la fraise (souvenirs souvenirs).

Je me suis également remémorée la premiere fois à l’hôtel à Bruxelles pendant des vacances d’été avec ma mère et ma soeur, 3 semaines au NH Hotel Stephanie. Dans le quartier se trouvait des hôtels et je me disais qu’un jour, peut être je travaillerai au Conrad ou au Crowne Plaza — c’était l’été de mes 15 ans.

Face à ces doux souvenirs, je me rappelle également ces moments où je devais expliquer à un parent burundais avec toute la révérence où je m’en allais à la fin des vacances “ je pars à Lille (France) étudier l’hôtellerie/restauration” Réponse “Quoi? Tu vas apprendre l’hôtellerie? C’est à dire que tu vas apprendre à nettoyer les toilettes? — ntibishoboka, Prime agire arihe iyo shure?.” Bon. J’ai souri et j’ai continué à saluer les parents.

Une autre anecdote — mon stage au Club du Lac Tanganyika — où j’ai effectué un stage et lorsque pour la premiere fois, les femmes de chambre m’ont vu faire une chambre, d’abord ont été choquées et après m’ont demandé de ne pas m’afficher devant les clients car j’étais la fille de … Je pouvais m’éviter la peine de passer le balai devant les chambres qui donnaient sur la piscine par exemple. Au moins dans ce cas ci, ça partait d’un bon sentiment.

Tout ça pour dire, ce n’est pas facile de parler de tourisme au Burundi et de son potentiel en tant que carrière, d’hôtellerie si on n’est pas entourés de personnes éclairées. L’hôtellerie au Burundi, comme en zone EAC et toute l’Afrique d’ailleurs, a un potentiel certain — il est de mon avis que tout africain a quelque part en lui, moins les rwandais d’après quelques retours, ce sens de l’hospitalité et si c’est une passion pour certains, pourquoi ne pas en faire une carrière.

L’hôtellerie n’a jamais été un frein à mes envies, mes passions car durant les treize années passées en France, j’ai effectué trois ans dans une école de commerce. Au contraire, cette discipline m’a appris à me poser des questions sur mes origines — ces questions que j’entends quand je mange avec des amis — quelle est la spécialité culinaire du Burundi et pourras-tu un jour cuisiner pour nous? La premiere réponse est ‘comme partout, il existe plusieurs plats’ et je me retrouve à énumérer que deux ou trois plats principaux , me rapprochant de la cuisine congolaise pour rallonger la liste et la deuxième sans broncher, ‘pas de si tôt car je n’ai pas appris à cuisiner les feuilles de manioc par exemple’. Pas de jugement car Dieu sait que ça prend du temps.

Aujourd’hui, je constate qu’il y a des écoles hôtelières qui se sont ouvertes dans la zone EAC celle qui me vient en tête est l’Institut Akilah, qui d’après les informations rapportées sur leur site, à commencer avec des moyens modestes et maintenant a su s’imposer comme une référence nationale et bientôt internationale.

2020 sera pour moi, je l’espère, une année où je pourrai voyager sur le continent africain, visiter les hôtels, les lieux touristiques et de créer des souvenirs et ce, sur le continent où tout se joue. Début d’année, j’ai prévu deux voyages — Addis et Accra — j’espère échanger avec les hôteliers dans ces pays et voir ce que l’on peut faire pour aider cette personne qui veut évoluer dans l’hôtellerie — restauration. Ce métier apprend l’humilité.

Quand j’entends les personnes échanger sur ce que les africains peuvent apporter au continent, beaucoup pensent à investir, à être propriétaire d’institutions hôtelières dont ils ne connaissent pas le métier et ils s’attendent à ce que les chiffres leur donnent raison. Pourquoi ne pas commencer par le début, l’apprentissage — et cela requiert l’éducation.

Je suis reconnaissante pour mes parents qui ont fait en sorte que l’on voyage dès le jeune âge, que ce soit par les livres, les voyages à l’intérieur du pays comme en Europe ou par la télévision (le bon côté). Eux mêmes ayant été éduqués par leurs voyages, ils ont su m’inculquer cette curiosité, ce besoin de voir autre chose… is it really greener on the other side? est peut être la meilleure question à poser à des parents.

Donnant donc les moyens à ceux qui veulent réussir en les encourageant — commençons par là!

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alex nyamoya boyi
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Written by alex nyamoya boyi

Kirundi & Frenglish. Entrepreneur working in the media sphere by producing podcasts & consultant in tourism, sports & tech in Africa. Instagram & Twitter.

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