Petit Pays
Petit Pays ou le besoin de faire le point avec mon histoire familiale empreinte de politique, de résistance voire même de rébellion. Je ne peux que me rappeler ce que j’ai gardé de la télévision en 1993 après de l’assassinat du premier président élu — ses funérailles.
Même étant jeune, je voyais qu’il y avait quelque chose d’inhabituel, la télévision burundaise retransmettait les nouvelles bien avant 17h … et en direct!
Le pays vivait au jour le jour, pas de vision sur l’avenir, dix voire vingt ans, je pense que c’est encore le cas pour bon nombre de mes compatriotes.
A la sortie du livre en France (maintenant sortie en salle), il était partout et avait surtout gagné le Prix Goncourt des Lycéens (yeah).
C’est au détour d’une conversation avec une ancienne collègue qui m’a exprimé son excitation sur ce livre que je me dis que Gael Faye avait fait du bien à ce ‘Petit Pays’. Celle-ci ne parlait pas d’un Burundi perdu dans une brousse quelque part dans une “jungle africaine” mais d’un pays certes lointain mais si proche grâce notamment à la langue française mais également par une description plus noble.
A cette époque, je ne me voyais pas encore lire quelque chose que j’avais peur de trouver “exotique” et mal interprété.
Il m’a fallu deux ans pour emprunter ce livre à la bibliothèque — je pouvais le retourner après lecture.
Quelque chose d’incroyable s’est passé, je me suis mise à pleurer. A chaque page, je reconnaissais une rue, un lieu, une école (le lycée international pour les anciens) — surtout cette école qui m’avait vu grandir. Je l’ai lu en janvier 2018, à un moment où je ne pensais pas avoir besoin, j’avais mes propres soucis et ce livre m’a permis de “reconnecter” avec le Burundi.
Mieux encore, l’écriture de Gael Faye a mis des mots sur des maux — des années de violence et de massacre qui ont commencé depuis l’enfance. Au travers de petites phrases ou anecdotes, je reconnaissais l’innocence qui nous avait été pris, la violence des mots entendus à l’extérieur de mon berceau familial et tout simplement, le plaisir de dormir la nuit sans se soucier si une grenade ou une roquette allait exploser sur notre maison, la maison du voisin … ou alors en priant qu’elle tombe dans un autre quartier … pas proche de préférence. L’insouciance s’était envolée sans que je ne sache que j’en avais besoin.
Comme Gabriel dans le livre, j’avais beaucoup de questions qui sont restées sans réponse : pourquoi cette guerre?
A vrai dire, j’avais peur de retrouver le récit d’un enfant sans vrai attache à mon pays, avec une histoire romanisée pour attirer le “Yoo” (expression burundaise exprimant la pitié ) de l’étranger. Qui plus est, l’histoire racontée par un enfant métis — mi français et mi rwandais certes tutsi — que connaissait- il de la réalité du terrain? Lui qui a pu être rapatrié en France!
Et, qu’est-ce que j’avais tort : dans ses phrases, je me suis retrouvée; l’auteur a pris une photo de l’histoire en montrant que les enfants du pays, même les plus privilégiés, ont fait partie de cette histoire du Burundi. Quand les organisations internationales donnent les statistiques de rescapés, je suis incluse; lorsque celles-ci parlent du besoin de traiter l’état mental des burundais notamment les blessures non visibles; je fais partie de ceux qui ont en besoin. Beaucoup de fois, je me suis dit que je n’étais pas concernée mais le fait de discuter de certains aspects de ma vie à des amis, je n’avais pas l’impression de raconter ma vie mais que je rapportai la vie d’une personne que je connaissais bien — entre deux explications sur la réalité du génocide, j’indiquai que je jouais tous les week ends au tennis ou que j’allais nager à l’ hôtel. Novotel pour les curieux :-)
Fallait choisir le camp de la galère ou juste d’un pays “pauvre”.
Il y a un moment assez particulier qui m’a marqué, durant un repas de Noel avec une connaissance qui avait pris l’intérêt d’en savoir plus sur ma vie au Burundi jusqu’au moment où elle m’a posé cette question: “Mais comment te sentais-tu à cette époque”? Je venais d’avoir 30 ans et pendant toutes ces années, je ne m’étais jamais posée cette question. Je me suis tue.
Je n’avais pas trouvé les mots.
A la différence de ce qui s’est passé au Rwanda en 1994, le génocide burundais n’a pas donné beaucoup d’images au monde — ceci peut être vu par certains comme une protection ou alors comme une malédiction puisqu’il y a peu de personnes pour crier à l’aide et personne pour aider de l’autre côté. Sans image, plus facile de feindre l’ignorance!
La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi.
Je lui appartenais.
Relire ce livre deux ans après s’est également se trouver à découvrir à un jeune âge un mot qui m’était inconnu : l’embargo! Croyez-moi ce n’est pas le confinement. Tout est barricadé et ce sentiment de ‘que va t-on venir? Coupure d’eau, d’électricité, rationnement de la nourriture … Dieu merci qu’il n’y avait pas encore internet!
L’auteur m’a permis et j’imagine à bien d’autres de reconnaitre l’hospitalité des burundais, la beauté des paysages et tout ce que je souhaite faire découvrir à mes amis.
Là où Gaby ne se s’affirme pas comme burundais (ce que je conçois), moi, je me retrouve dans cet environnement par le sang, la langue, les non-dits, les intonations etc.
Pour autant, on a pas mal de points communs de par son éducation, lui qui a fréquenté l’école française et moi l’école internationale puis l’école belge; je me reconnais dans ces institutions qui nous formaient dans des bulles du savoir et sans vouloir faire intégrer la politique dans la salle de classe.
La politique a su malgré tout rentrer et c’est par des dires de camarades que l’on apprenait à se distinguer par ethnies, à s’apprécier ou à se distancier ; les années lycées à se détester ou à former “des clans d’enfants de tel ministre, tel parlementaire ou militaire”; souvent sans avoir de raisons valides. Dans une famille burundaise aisée ou pas, il n’y avait trop d’espaces pour poser des questions qui pouvaient fâcher; donc on se taisait et on glanait les informations où on pouvait — par la radio et la télévision burundaise et pour les plus chanceux, sur des chaînes étrangères qui, bizarrement, ne diffusait pas grand chose. J’écris en 2020 et c’est toujours la même histoire.
Avec le petit personnel, Maman ne faisait jamais de phrases, elle envoyait des télégrammes. Les commis ne méritaient pas de verbe.
Dans le récit de Gaby, Gael Faye révèle une part de l’Afrique très méconnue de l’étranger — le complexe d’infériorité et de supériorité, l’esprit de “colon” toujours présent dans ce continent qui se dit indépendant de tout régime extérieur, des mercenaires européens dont le “job” étant connu de tous continuaient à vivre librement. L’exemple flagrant serait le comportement de la mère de Gaby, Yvonne, vis à vis du personnel : elle, qui se savait dénigrée par les tutsis burundais, considérée comme une “étrangère” et qui plus est, avait eu le malheur de marier un blanc, un français. Parce que, oui, nous aussi, savons distinguer l’étranger qui fait partie de la haute société ou pas. Il faut aussi rappeler qu’à l’époque, les deux pays, le Burundi et le Rwanda, soi disant frères, ne vivaient pas l’idylle sur le plan politique.
Cette nuance que personne dans son entourage de français, belges, congolais n’arrivaient à déceler; elle savait ce que ça voulait dire que de faire partie d’une 3e voire 4e catégorie de la population. Il faut dire que le burundais a une façon de s’exprimer — un compliment pouvant être une insulte ; une réprimande pouvant être un compliment … C’est tout un art!
De l’autre côté, il y a l’image classique du “Zairois” qui met(tait) le blanc sur un piédestal sans raison particulière à part qu’il était blanc donc il devait être plus intelligent voire plus riche que lui. Le complexe d’infériorité du Hutu envers le Tutsi qui sur le tard entrainera les violences de 1993 et qui entrainera deux génocides au Burundi et au Rwanda. Le sentiment de supériorité du Tutsi envers le Hutu pensant être, de manière générale, au dessus de tout — sauf peut être des travaux de basse besogne.
Il y a aussi cette dure réalité d’enfant métis dans un pays qui s’entretuent au nom d’un ‘sang pur’. Cette vie de métis qui souvent, par choix parental, empêche à certains enfants d’apprendre la langue maternelle, voyons en cette langue quelque chose de sauvage, d’autochtone. Qu’en t’il de ses enfants quand ils réalisent que ce n’est pas parce que le parent est marié à une burundaise, une rwandaise, une soudanaise que ce dernier, par moment, ne crache pas lui-même le venin du raciste? Peut-il le considérer comme un ‘raciste’ light?
Lorsque je visite les musées juifs en Europe, j’ai tendance à comparer aux couples allemands — juifs qui se sont formés après la guerre. Pendant tant d’années avoir cru en la supériorité de la race aryenne et se retrouvait à être parent d’un enfant juif. Par amour, dira t-on.
Gael Faye a fait ce que les métis n’ont pas le temps ni l’espace d’exprimer, ce malaise identitaire — ou comment vivre et grandir dans un environnement qui ne vous comprendra et ne vous acceptera peut être jamais. Pour donner un exemple que mes compatriotes comprendront de suite, un métis “burundais” sera celui qui saura parler couramment Kirundi (pas les petits bonjours et au revoir du touriste) et le métis “blanc” sera celui qui ne fera pas d’effort d’apprentissage même après avoir grandi dans ce même pays et y avoir effectuer toute sa scolarité etc. Une palme d’Or revient au parent qui aura élevé son enfant à l’étranger et qui parlera parfaitement le Kirundi. Cet enfant est digne d’être appelé burundais.
Le métissage au Burundi, comme ailleurs, vous demande de prendre partie mais le Burundi est, à mon avis, encore moins tolérant sur ce sujet.
Le métissage est également un miroir sur les classes sociales qui composent le Burundi.
Sur le point politique, Mr Faye rappellera au lecteur avisé le rôle joué par l’ancien président de la République Française François Mitterand dans le génocide rwandais(p.145).
Je ne comprends toujours pas comment ‘Petit Pays’ a su faire l’objet d’un tel intérêt en France et dans le monde.
Il ya quelques années de cela, je suis allée au concert de Gael Faye avec des amies burundaises à Paris pour son album “Pili Pili sur un croissant au Beurre” j’étais estomaquée de voir toute la salle criait à pleins poumons des paroles décrivant l’amour de Gael Faye pour son pays — si je devais parier, je dirai que 99.9% n’y avaient jamais mis les pieds et pourtant c’était beau à voir et à vivre. Et c’est cela la beauté de la musique, de la lecture, des mots — nous faire voyager.
Là où , l’auteur aura du mal à prouver son amour du pays à un Burundais traditionnel; il donne une place de choix afin que chacun s’exprime, fasse sortir cette parole étouffée et enfouie en nous sur ce qui s’est passé depuis 1993 et de faire un travail de mémoire écrit non par l’historien venu d’ailleurs et de cette manière, faire perdurer cette tradition orale qui nous est tellement chère. Et on est beaucoup dans ce cas.
En écrivant ces mots, je reconnais ma position encore une fois de privilégiée, celle d’une personne qui demande à parler d’un conflit qui n’est toujours pas fini — moi qui ne suis pas directement affectée par les difficultés que connaissent en ce moment mes compatriotes.
A cela, je me dis que sûrement je m’adresse à celui et celle qui est à l’abri de ses violences mais qui continuent à faire comme si tout allait bien.